En plein boom

Nicolas Mavrikakis
Édition du 24 au 30 avril 2003, Voir Montréal

Xuân-Huy Nguyen a de la suite dans les idées. Il nous avait promis une Triennale de la relève québécoise en art et, effectivement, après une première édition (plutôt moyenne) en 2000, il est de retour en 2003 avec son événement L'art qui fait boum au Marché Bonsecours. Nguyen, jeune homme dans la vingtaine, a donc tenu son pari de mettre au monde un nouvel événement qui ne soit pas qu'un simple feu de paille. Dans un milieu où il y a déjà pas mal de compétition (Biennale de Montréal de Claude Gosselin, Mois de la photo, blockbusters au Musée des beaux-arts et au Musée d'art contemporain), son aventure mérite considération. Des musées et pas les moindres - je pense entre autres au Musée des beaux-arts d'Ottawa dont on attend toujours la seconde édition de sa Biennale d'art contemporain canadien, présentée une seule fois, en 89 - n'ont pas su tenir une telle promesse. Cette année, Nguyen a même ajouté au volet arts visuels de son événement une section courts métrages qui semble prometteuse. Je ne vous en parlerai pas cette semaine, mais j'y reviendrai.

Pour l'instant, côté arts visuels, il faut bien constater que l'événement est malheureusement inégal. Dans la première salle, ça démarre en lion, mais ça tombe rapidement à plat dans le second espace, une fois passés les grands panneaux de Doyon-Demers. Néanmoins, au moins cinq artistes tirent leur épingle du jeu.

Artistes à remarquer

Cela commence en effet très bien. En entrant, Ève K. Tremblay, avec un colimaçon de photos, propose une très belle pièce intitulée Les Dédales d'Ariane. Cette oeuvre, que le public de Québec a pu voir à l'excellente galerie L'Oil de poisson en 2001, était peut-être mieux présentée là-bas, dans un espace plus resserré et donc plus intimiste. Cette installation photographique semble montrer le parcours parfois étrange des aventures amoureuses d'une jeune fille. Entre réalité et fantasme, va-t-elle se perdre? Va-t-elle tomber dans un cul-de-sac, confrontée à elle-même? C'est un peu ce que le spectateur expérimentera. Au bout de ce couloir d'images se trouve un portrait flou et ambigu de l'héroïne de ce roman-photo nouveau genre.

Avec Chutes (objets) et Chutes (miroirs), Gwenaël Bélanger propose une pièce qui nous parle de l'accident mais aussi du bonheur de laisser tout tomber... Gâteau, vase chinois et valise sont, dans un arrêt sur image spectaculaire, sur le point de se fracasser sur le sol. Une amie me disait comment, à la suite d'un divorce, elle avait eu un bonheur fou à jeter contre un mur le service de vaisselle pour 12 personnes qu'elle avait reçu pour ses noces... Le spectateur ressentira ce genre de liberté-là devant ces pièces. C'est l'une des réalisations les plus fortes de l'expo. La série de photos avec cette glace qui va se pulvériser fait penser, autant dans les couleurs, la facture que le thème du miroir, au travail de Michael Snow. Sauf qu'ici, le dispositif ne dénonce pas exactement le mensonge illusionniste des images. Il souligne plutôt comment une photo ou un film sont avant tout des images que l'on peut contrôler ainsi que manipuler, et non pas seulement de simples représentations du réel.

Michel Patry interroge ce que nous laisserons comme restes de notre civilisation. Ses photos, composées entre autres de diverses carcasses de voitures et de motoneiges, apparaissent comme des monuments au monde industriel. Et si demain les archéologues du futur y voyaient les dieux de notre monde contemporain?

Quant au duo composé de Mathieu Doyon et Simon Rivest, il continue de démontrer comment les systèmes de la pub constituent les nouveaux monuments de notre monde moderne. Dans la pub, il y a comme une monstration exacerbée, un dispositif de glorification qui dépasse le contenu glorifié et très vide. Une démonstration souvent faite mais impeccablement réalisée par le duo.

Une bonne récolte, si le spectateur passe rapidement sur quelques pièces moins intéressantes.

Je me permettrais néanmoins de critiquer le système de sélection des artistes. Pour l'instant, ce sont les créateurs qui soumettent leur candidature à cet événement auprès d'un jury qui effectue alors un choix parmi tous les dossiers présentés. Cela manque un peu de leadership artistique. Ce genre d'événement demande un travail de commissariat plus incisif. L'art qui fait boum pourrait garder cette manière de faire à condition de lui ajouter une section constituée de créateurs proposés par une personne du milieu (galériste, coordonnateur d'un centre d'artistes...). Je crois que ce serait un moyen de garantir à L'art qui fait boum un envol plus sûr pour son retour dans trois ans.

Avant de conclure, je m'en voudrais de ne pas mentionner - une fois n'est pas coutume - les très belles affiches réalisées pour cet événement, signées Stéphane Huot. Avec des mots comme Ouache ou Ayoye en grosses lettres, elles attaquent de front les préjugés attachés au monde de l'art contemporain.