De visu - Voir grand dans la variété

Marie-Ève Charron
Édition du samedi 10 et du dimanche 11 mai 2003

L'art qui fait boum!, la Triennale de la relève québécoise, a pris de la maturité. Depuis sa première édition il y a trois ans, son directeur général, le jeune Xuân-Huy Nguyen, n'a pas chômé. Il livre pour une seconde fois la marchandise avec une détermination désarmante car le pari d'offrir une tribune pour les pratiques émergentes et d'en faire un événement de promotion de l'art actuel auprès d'un public élargi est toujours aussi ambitieux.

C'est la machine derrière l'événement qui a pris du tonus. Il faut le reconnaître, avec un soutien financier qui a augmenté (dont une grande part provient du secteur privé) et des associations qui se sont multipliées (SuperClub Vidéotron et Musique Plus sont notamment de la partie), la Triennale peut se vanter d'avoir de sérieux moyens à sa disposition.

De fait, l'événement a une durée de vie prolongée, huit semaines au lieu de trois, et sa programmation est plus variée. Outre la photographie et les installations de tout acabit, les arts visuels de la présente édition comprennent de la performance et des projets d'arts publics. La nouveauté qui retiendra surtout l'attention ? Le volet consacré aux courts métrages, qui réunit quinze productions dont l'éventail va de la science-fiction au documentaire.

La Triennale compte avant tout sur la variété de sa programmation pour rejoindre un public encore réfractaire à l'art actuel. À en juger par les affiches dont s'est muni l'événement pour diffuser sa tenue, tout converge vers ce public. Sur ces affiches aux couleurs toniques, des «Oouaache !», «Ayoye !», «Hein !» apparaissent, reprenant ainsi les pires expressions attribuées aux détracteurs de l'art actuel. Aussi, L'art qui fait boum ! n'a pas changé sa vision des choses; elle carbure encore avec l'idée selon laquelle on vient à bout des préjugés en montrant qu'ils sont entendus.

Hormis cet appât de première ligne qui vise à faire tomber les craintes tenaces, le programme qui accompagne l'exposition développe une avenue similaire. Cette fois la contribution vient de Sébastien Martin, directeur artistique nouvellement en place, dont les textes de présentation des oeuvres jouent la carte de la narration plutôt que celle du discours hermétique. Le choix est habillement défendu et parvient à filer une thématique, «Îuvre à sensation», bien que celle-ci ait été élue après la sélection des oeuvres. Installer un climat, disposer à la réception, secouer l'indolence, là est la recette mise en avant.

Oeuvres immersives

Et que dit cet art ? Au Marché Bonsecours, plus précisément dans les quartiers de l'Espace Vox aussi associé à l'événement, la dominante va à la photographie. Les Dédales d'Ariane d'Ève K. Tremblay reçoivent le visiteur avec un aplomb certain. La série, déjà présentée à Québec, actualise le mythe avec éclat, ponctuant un parcours où les troubles amoureux sont codés par une mise en scène savamment étudiée.

Toujours en photographie, ce n'est pas avec les oeuvres de Michel Patry, du lot pourtant lors de l'édition précédente, que la relève soulève le plus d'enthousiasme, mais avec les deux séries de Gwenaël Bélanger. Chutes (objets) fait le décompte en douze images d'une chute à laquelle prennent part tour à tour des objets divers (boîte, gâteau, ventilateur, poupée, vase chinois, etc.) mais prive celui qui regarde du moment inéluctable de leur impact au sol. Le même principe est appliqué dans la série suivante, Chutes (miroir), où l'instant imparable du fracas est accentué par le choix du seul objet annoncé par le titre. Simple, ses paramètres parfaitement maîtrisés, le projet joue sur le rythme et exploite l'espace virtuel du hors-champ.

Outre Ève K. Tremblay, la Triennale compte d'autres figures plutôt établies de l'art actuel, cette fois avec des installations vidéo. Rachel Echenberg implante avec Blanket une cellule hivernale bercée par un rythme pulsatif. De son côté, Nicolas Renaud transpose du Blanchot dans un format panoramique où La Lecture, laborieuse, s'accomplit pour se défaire à la fois.

Un axe s'affirme ensuite pour le reste de l'exposition, à savoir les oeuvres imposantes aux propriétés immersives. Trois lieux de Natascha Niederstrass conduit le spectateur au sein d'une intrigue qui relève, quelque part, du conte pour enfants détourné par une tension dramatique palpable. Olfactive et sonore, Dedans/dehors de Chantal Dumas compte sur les appels des visiteurs pour «reboiser» son espace. La formule tourne court car, visiblement, il ne suffit pas à une oeuvre d'être participative pour capter l'attention. Et que dire du travail de Geneviève Oligny ? Son jeu de poches à la facture japonisante ne manque pas de séduire -- y est montré le talent remarquable de l'artiste pour le papier artisanal et l'illustration --, mais le tout semble chercher un ton et, disons-le, rate sa cible en voulant décaper par l'humour les lieux communs sur les remèdes contre le stress.

Également dans cette salle, où, du reste, les oeuvres s'entassent un peu trop, les Doyon et Rivest se tirent très bien d'affaire. Deux immenses panneaux, situés dans un face à face exigu, exploitent la structure du champ/contre-champ pour imposer une circularité aliénante. C'est toujours le langage de la publicité qui est dans la mire des artistes.

À côté d'autres interventions massives faites de matière triturée (David Lafrance, Michael A. Robinson), les Bounce de Catherine Bodmer laissent échapper de fines volutes. Disséminées, les petites surfaces grillagées de forme circulaire parasitent l'enveloppe immaculée de l'espace d'exposition, douce subversion de la neutralité et de la propreté ambiantes.

Les performances des Women With Kitchen Appliances et des Fermières obsédées (prévues au cours du mois) s'annoncent quant à elles prometteuses. Il faut donc suivre la Triennale dans ses ramifications (soirée-causerie et visites commentées sont aussi au menu) pour en mesurer la portée. On peut s'imaginer que ces efforts vont réussir à rejoindre le public élargi tant convoité. Toutefois, on reste sur sa faim côté découvertes, car elles sont trop peu nombreuses.

Pour information : www.artquifaitboum.qc.ca