Coup d'oeil concluant

Jérôme Delgado
collaboration spéciale, La Presse
Édition du dimanche 26 octobre 2003

Il faut parfois peu de choses pour arriver à quelque chose de concluant. Telle pourrait être la morale de l'exposition Détournements qui réussit, en deux ou trois gestes, à faire davantage pour la création actuelle que bien d'autres manifestations plus extravagantes. Ancrées dans la photographie ou dans l'installation, les oeuvres réunies, déroutantes il va de soi, sont de beaux exemples de ce qui se fabrique dans les ateliers.

Sept artistes et à peu près autant de pièces forment cette expo concoctée par le centre Skol dans le cadre du programme Exposer dans l'île du Conseil des arts de Montréal. Lancée cette semaine à la maison de la culture Côte-des-Neiges, la toute nouvelle manifestation parcourra l'ouest de la ville pendant les 12 prochains mois. Elle est notamment aux calendriers de la galerie d'art d'Outremont et des centres culturels de Dorval et de Pointe-Claire.

Aussi bien dire que l'art actuel bénéficiera d'une belle ouverture. Skol, un des centres d'artistes les mieux cotés du réseau québécois, a beau avoir un pied-à-terre en plein centre-ville, rue Sainte-Catherine, il donne souvent l'impression, et c'est le problème de tout le milieu, de vivre dans un circuit fermé. C'est justement l'objectif d'Exposer dans l'île qui, avec un budget annuel dépassant à peine les 100 000 $ (135 000 $ pour 2003), permet à la création la plus diversifiée de mieux circuler. Au moment où Détournements est inaugurée, des expos sur la céramique et sur l'estampe sont à l'affiche ailleurs, alors que fin novembre débutera celle sur le design.

Concluants, ces Détournements? L'expo n'offre peut-être qu'un coup d'oeil sur l'art actuel, mais la commissaire Pascale Beaudet réussit tout de même à en donner un bon et juste reflet. Les sept artistes ont été choisis parmi ceux qui ont déjà exposé en solo à Skol, qui présente depuis 1986, selon sa propre définition, «le travail exploratoire et novateur d'artistes émergents».

On oublie souvent à quel point les centres d'artistes font effectivement leur part dans «l'émergence» de nouveaux noms. Qu'un Jérôme Fortin ou un Michel de Broin, aujourd'hui bien placés dans le marché de l'art, soit dit en passant, des protégés du même galeriste (Pierre-François Ouellette), soient jadis passés par Skol, démontre combien le centre demeure un acteur important. Pour eux et pour l'art en général.

Sacralisé et éternel, l'oeuvre d'art est ici «détourné» de bien des façons, signe que la création de nos jours tend justement vers autre chose que le précieux objet. Si bien des exemples radicaux manquent à l'appel, les propositions s'inscrivent dans ces démarches valorisant le déchet et le dégât, l'ordinaire et le multiple.

Déjà remarqué en mai à L'Art qui fait boum!, Gwenaël Bélanger poursuit sa célébration de la destruction avec deux autres volets de la série Chutes. Spectaculaires sans aucun doute, questionnant ainsi à leur tour le banal désormais en vogue, ses photos montrent un objet juste avant ou juste après sa rencontre avec le sol. Il y a du Magritte dans son art, dans ces lampadaires et bibelots flottants, mais surtout, il y a un plaisir évident à ordonner le désordre.

Faisant également dans la photo, Corinne Lemieux propose avec Tout est relié, rien n'est autre un mur de clichés plus ou moins artisanaux, dans un agencement plus ou moins chaotique. C'est un conte fantastique fait de belles ambiguïtés telles l'androgynie ou la fausse autobiographie. Jocelyne Chabot, elle, prône la paix avec une installation pour le moins saugrenue où une télé diffuse tant bien que mal des images, alors que David Altmejd soumet une structure translucide comme «mise en abîme de la réalité».

Enfin, comment ne pas saluer la présence d'Hélène Sarrazin? Plein d'ironie et de tendresse, son Un petit air de famille offre, à qui veut bien les prendre, deux affiches dédiées l'une à la figure du père, l'autre à celle de la mère. Au recto, l'imprimé montre soit un gorille grimaçant, soit un autre avec son rejeton, et au verso, des textes aussi ambivalents. Comme quoi l'art, même le plus pointu, est à la portée de tous.

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DÉTOURNEMENTS
Maison de la culture Côte-des-Neiges, jusqu'au 23 novembre
Info: 514 872-6889